Pour la première fois, la Chine dépasse les États-Unis en termes de scientifiques de haut niveau
Les défis des États-Unis pour conserver leur leadership en éducation et innovation scientifique
La rivalité entre la Chine et les États-Unis s’est intensifiée ces dernières années, notamment dans le domaine technologique. Alors que les États-Unis ont longtemps dominé ce secteur, il semble que cette tendance ait changé au cours des trois dernières années. Pour la première fois, la Chine aurait surpassé les États-Unis en tant que leader mondial dans la quantité et la qualité des articles scientifiques publiés, ces derniers étant considérés comme plus qualitatifs lorsqu’ils sont largement cités par d’autres chercheurs.
Un rapport publié par l’Institut national japonais de la politique scientifique et technologique (NISTP) révèle que, sur cette période, la Chine a produit 27,2 % des 1 % des articles les plus cités dans le monde, soit 4 744 articles, devançant les États-Unis (24,9 % et 4 330 articles). Le Royaume-Uni suit avec 5,5 % et 963 articles. Ce leadership chinois ne se limite pas uniquement à la quantité de publications.
Le rapport indique que la Chine se positionne désormais comme le premier pays en termes de nombre d’articles scientifiques publiés et d’articles les plus cités, un fait qui devrait renforcer sa compétitivité économique et industrielle. En moyenne, la Chine a publié 407 181 articles scientifiques par an entre 2018 et 2020, contre 293 434 pour les États-Unis, représentant ainsi 23,4 % de la production mondiale de recherche. « La Chine est désormais l’un des leaders mondiaux en quantité et qualité de publications scientifiques. Pour devenir le véritable leader mondial, elle doit continuer à produire des recherches reconnues à l’échelle internationale », a souligné Shinichi Kuroki, directeur général adjoint du Centre de recherche Asie-Pacifique de l’Agence japonaise pour la science et la technologie. L’Allemagne se classe quatrième.
Le rapport note également que la Chine est particulièrement forte dans les domaines de la science des matériaux, de la chimie, de l’ingénierie et des mathématiques, tandis que les chercheurs américains se distinguent davantage dans les domaines de la médecine clinique, des sciences de la vie et de la physique. Le Japon, quant à lui, prend du retard, se classant cinquième pour le nombre total de publications et dixième pour les articles les plus cités, après avoir été surpassé par l’Inde. Dans le classement des 10 % des articles les plus cités, le Japon est désormais en douzième position, derrière l’Espagne et la Corée du Sud.
La situation devient de plus en plus critique pour les États-Unis, alors que la Chine, en investissant de manière significative dans l’éducation et la recherche, commence à en récolter les bénéfices. L’approche pragmatique de la Chine, qui privilégie la formation et le développement d’un écosystème scientifique solide, lui permet de progresser rapidement dans les domaines de la science et de la technologie. En revanche, les États-Unis connaissent un déclin préoccupant de l’investissement dans l’éducation scientifique, ce qui fragilise leur position dominante. Ce renversement met en évidence les difficultés croissantes pour les États-Unis de conserver leur rôle de leader mondial en matière d’innovation scientifique et d’éducation.
La bataille des scientifiques de haut niveau et l’avenir de l’innovation
Dongbi Data, une société de technologie de données basée à Shenzhen, rapporte que les États-Unis comptaient 36 599 scientifiques de renommée mondiale en 2020, un chiffre qui a diminué chaque année pour atteindre 31 781 en 2024. Au cours de cette période, la part des États-Unis dans le réservoir mondial de talents scientifiques est passée de près de 33 % à 27 %. En revanche, la Chine a connu une croissance significative, avec le nombre de ses scientifiques de haut niveau passant de 18 805 en 2020 à 32 511 en 2024, et sa part mondiale augmentant de 17 % à 28 %.
Pour cette étude, les « scientifiques de haut niveau » sont définis comme des chercheurs ayant publié des articles influents dans les revues scientifiques les plus prestigieuses. L’analyse s’est appuyée sur plus de 40 000 articles hautement cités publiés entre 2020 et 2024 dans 129 revues internationales de premier plan, couvrant une large gamme de disciplines.
Wu Dengsheng, fondateur de Dongbi Data et professeur à l’université de Shenzhen, a souligné que l’analyse mettait en évidence des transformations profondes dans le paysage mondial des talents scientifiques et technologiques au cours des cinq dernières années. En termes de répartition géographique, les scientifiques chinois de premier plan sont principalement concentrés sur la côte est du pays et dans les grandes villes, tandis que leurs homologues américains sont largement répartis entre les universités et les centres de recherche de Californie et du Massachusetts.
L’Académie chinoise des sciences, la plus grande organisation scientifique au monde, avec plus de 100 instituts, se place en tête avec 3 615 scientifiques de haut niveau, devançant largement l’université de Harvard (1 683) et l’université de Stanford (1 208). En dehors des États-Unis et de la Chine, l’Allemagne a montré une stabilité relative, bien que légère baisse, tandis que la Grande-Bretagne et la France ont observé une diminution. Le Japon et l’Australie ont également enregistré une baisse du nombre et du pourcentage de scientifiques de haut niveau.
Les résultats du rapport, ainsi que d’autres analyses similaires, montrent un transfert de la puissance scientifique mondiale des États-Unis vers la Chine au cours des dernières années. En 2023, l’Institut d’information scientifique et technique de Chine a rapporté que la Chine avait produit près d’un tiers des articles publiés dans les revues scientifiques internationales les plus influentes en 2022, un fait inédit qui marque la première fois que la Chine dépasse les États-Unis dans ce domaine. De plus, le dernier numéro de Nature, une revue scientifique de renom, a publié près de la moitié d’études d’auteurs d’origine chinoise.
Dongbi Data a aussi publié sa propre liste des meilleures revues scientifiques à travers toutes les disciplines, visant à classer les publications internationales. Wu Dengsheng a expliqué que la majorité des bases de données utilisées par les chercheurs chinois provenaient historiquement de l’Occident, comme le Science Citation Index. Il espère que la publication de cette nouvelle liste, élaborée par des scientifiques chinois, pourrait réduire la dépendance de la communauté scientifique chinoise vis-à-vis des systèmes d’évaluation internationaux.
Li Gang, doyen de l’Institut de recherche en intelligence des données de l’université de Wuhan, a souligné que l’élaboration d’un tel indice visait à redéfinir le pouvoir narratif dans le monde académique international. Il a ajouté que cette nouvelle liste pourrait encourager l’acceptation des publications chinoises à l’échelle mondiale, soutenant ainsi le développement scientifique et technologique du pays.
Les États-Unis restent-ils toujours un pôle d’innovation malgré un déclin apparent ?
Le rapport publié par Dongbi Data soulève plusieurs points importants qui méritent un examen critique approfondi. Il souligne un changement majeur dans la dynamique mondiale de la recherche scientifique, avec la Chine dépassant les États-Unis en nombre de scientifiques de haut niveau. Si ce constat est incontestable sur le plan des chiffres, il omet souvent des nuances essentielles dans l’analyse. Premièrement, la simple quantité de scientifiques ne peut être réduite à un indicateur de succès absolu dans la recherche. La qualité de la recherche, la liberté académique, l’innovation disruptive et les collaborations internationales sont des facteurs tout aussi déterminants.
De plus, les États-Unis continuent de rester à la pointe dans de nombreuses disciplines de pointe, en grande partie grâce à leurs institutions prestigieuses et à leur capacité à attirer des talents du monde entier. Il est donc réducteur de conclure qu’un simple renversement numérique de scientifiques implique une dégradation totale du leadership scientifique des États-Unis.
Concernant la situation aux États-Unis, il semble évident qu’un désinvestissement dans l’éducation et une certaine méfiance envers la science, particulièrement visible dans certains segments de la population, ont contribué à un déclin relatif du pays dans la recherche scientifique. La réduction des financements publics dans les écoles publiques, le déclin de la formation scientifique de base et la montée de l’anti-intellectualisme sont des phénomènes préoccupants. Toutefois, cette tendance ne doit pas faire oublier que les États-Unis continuent d’attirer de nombreux chercheurs de haut niveau et d’être un centre d’innovation technologique majeur, principalement grâce à leur capacité à offrir des opportunités économiques et un environnement propice à l’entrepreneuriat. Pourtant, il est indéniable qu’un renouveau des investissements dans l’éducation et la recherche scientifique serait bénéfique pour inverser cette dynamique.
En revanche, la Chine semble avoir trouvé une voie différente, axée sur un investissement stratégique dans l’éducation et la recherche scientifique. Son modèle, qui privilégie la formation académique de masse, l’innovation technologique et la création d’infrastructures de recherche, a permis au pays de combler son retard scientifique au fil des dernières décennies. Cependant, cet essor ne se fait pas sans limitations. Le système éducatif chinois, bien qu’efficace dans la formation de nombreux scientifiques, souffre d’un manque de liberté académique et d’une pression constante sur les chercheurs pour qu’ils produisent des résultats qui soient en phase avec les attentes du gouvernement.
La quête d’un leadership scientifique mondial ne peut se faire sans prendre en compte ces tensions inhérentes à un système aussi centralisé et contrôlé. En outre, bien que la Chine investisse massivement dans la recherche et le développement, la question de l’originalité de ses innovations et de l’ouverture de son modèle scientifique reste une préoccupation pour ceux qui s’intéressent à la diversité des idées et à la collaboration internationale.
En somme, la comparaison entre la Chine et les États-Unis en matière de recherche scientifique met en lumière des défis et des opportunités pour les deux nations. Tandis que les États-Unis continuent de se débattre avec des problèmes internes liés à l’éducation et à la science, la Chine, de son côté, parvient à attirer des talents et à renforcer son écosystème scientifique. Cependant, ces deux puissances, chacune dans son propre contexte, doivent encore surmonter des obstacles significatifs pour assurer un véritable leadership mondial en matière de recherche et d’innovation. La question demeure de savoir si l’ascension rapide de la Chine dans ce domaine pourra réellement se traduire par une contribution positive et équitable à la communauté scientifique mondiale.
Source : Dongbi Data report, developpez.com