Un milliardaire sirote des margaritas en prédisant comment l’IA va tuer les emplois des personnes les plus désespérées,
Il suggère que les entreprises devraient automatiser les tâches dès qu’elles le peuvent
Luis von Ahn, fondateur et PDG de Duolingo, mise sur l’IA pour l’avenir de son application. Il est convaincu qu’une entreprise doit automatiser dès qu’elle est en mesure de le faire et c’est ce que Duolingo a fait à la fin de l’année dernière. Duolingo a décidé de ne pas renouveler les contrats d’environ 10 % de sa main-d’œuvre contractuelle qui s’occupait des traductions et de la rédaction des leçons, optant plutôt pour l’utilisation de l’IA pour ces tâches dans certains cas. Luis von Ahn affirme qu’il s’agit d’une situation difficile qui affectera les personnes pauvres et moins éduquées. Il prédit également la fin du travail tel que nous le connaissons.
Le PDG de Duolingo est convaincu que l’IA est l’avenir de son application
Luis von Ahn n’a pas peur de l’automatisation des emplois à l’ère de l’IA. Au contraire, il mise tout sur la technologie. Assis à Duo’s Taqueria, un restaurant mexicain haut de gamme faiblement éclairé de Pittsburgh, Luis von Ahn contemple la fin du travail tel que nous le connaissons. Entre deux bouchées de tacos al pastor et deux gorgées de margarita, Luis von Ahn explique que l’IA fera disparaître certains emplois et que les travailleurs devront être recyclés. « C’est une situation difficile qui affectera les pauvres et les moins éduqués. Et pas seulement aux États-Unis, mais aussi dans les pays pauvres », a-t-il déclaré.
Luis von Ahn a déclaré qu’il faudra une réglementation intelligente de la part des gouvernements du monde pour s’assurer que l’IA est équitable. Cependant, il ne croit pas beaucoup aux États-Unis, qui devront cesser d’hésiter et agir pour y parvenir. « Il est très difficile aujourd’hui d’imaginer que les États-Unis vont bien légiférer, étant donné qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur quoi que ce soit », a déclaré le PDG dans un entretien avec Forbes Australia.
En janvier, l’entreprise a licencié des sous-traitants chargés de trouver d’autres façons de formuler les traductions. Sans surprise, les changements sont en grande partie dus à l’avènement de l’IA. Duolingo a fait l’objet de critiques après ces licenciements . Pour se justifier, l’entreprise a déclaré avoir simplement décidé de ne pas renouveler le contrat de ces sous-traitants, car une bonne partie de leurs tâches pouvait désormais être effectuée par les outils d’IA.
Lors de son récent entretien, Luis von Ahn a déclaré à propos de ces licenciements : « notre position en tant qu’entreprise est que si nous pouvons automatiser quelque chose, nous le ferons. Il est très difficile d’automatiser le travail d’un employé à temps plein. Mais nous avions des sous-traitants rémunérés à l’heure qui faisaient des tâches plutôt routinières ». Des critiques estiment que l’utilisation de l’IA n’est pas adaptée et craignent des problèmes à l’avenir.
« L’IA générative accélère notre travail en nous aidant à créer de nouveaux contenus beaucoup plus rapidement », a-t-il écrit dans une lettre aux actionnaires datée de novembre. Il est convaincu que c’était la bonne décision pour son entreprise, mais est conscient des problèmes plus vastes que l’IA entraînera.
La confiance aveugle des dirigeants dans l’IA encourage les licenciements
Luis von Ahn est convaincu que « l’IA surpassera les humains à l’avenir ». Lors de l’entretien, il s’est montré résolument favorable à l’IA, allant même jusqu’à dire que l’IA pourrait un jour faire des ordinateurs de meilleurs enseignants que les humains. Plus récemment, son entreprise a lancé une fonction de chat vidéo pilotée par l’IA qui permet aux utilisateurs de converser avec une mascotte appelée Lily pour pratiquer leurs compétences linguistiques. Cette fonction a suscité des préoccupations, les experts craignant que le problème de l’hallucination pousse l’IA à se lancer des discussions potentiellement préjudiciables.
Les nouvelles fonctionnalités constituent la dernière vague d’outils issus d’une initiative d’IA générative lancée par Duolingo l’année dernière. « Dans mon esprit, le tuteur d’IA personnalisé est moins une fonction particulière que nous construisons. Il s’agit plutôt d’une sorte de vision de ce que deviendra l’application dans son ensemble », affirme Klinton Bicknell, responsable de l’IA chez Duolingo. Ces outils ne suscitent toutefois pas l’enthousiasme de tout le monde.
À plus long terme, Luis von Ahn est optimiste et pense que l’IA pourrait ouvrir de nouvelles possibilités d’apprentissage et mettre un enseignement de qualité à la portée du plus grand nombre. Il pense que les langues peuvent aider les gens à sortir de la pauvreté, en notant que, pour les locuteurs non natifs, l’apprentissage de l’anglais élargit instantanément le potentiel de gain d’une personne et ouvre un tout nouveau monde d’emplois. Mais il suscite le scepticisme.
Luis von Ahn voit Duolingo à l’avant-garde de la transition vers « l’apprentissage géré par l’IA », avec l’objectif ultime de créer un tuteur automatisé capable d’enseigner une langue étrangère à n’importe qui. Lors de l’entretien, il a déclaré : « ce serait une bonne chose pour le monde en général. Il se peut que cela mette fin aux activités des tuteurs humains individuels. Je comprends cela. Mais je pense qu’il est préférable que tout le monde ait accès à un tuteur ».
La confiance aveugle de Luis von Ahn dans la technologie est symptomatique d’une tendance beaucoup plus importante et inquiétante, les dirigeants du secteur de la technologie étant prêts à remplacer les travailleurs humains par l’IA. Le débat houleux qui entoure ce sujet persiste depuis la publication du ChatGPT par OpenAI à la fin de 2022. Dans un rapport publié l’année dernière, Goldman Sachs estime que 300 millions d’emplois pourraient être supprimés.
Comment l’IA pourrait-elle affecter les emplois dans les années à venir ?
Luis von Ahn a donné son avis sur la manière dont l’IA pourrait affecter les travailleurs à l’avenir. Il a admis notamment que les licenciements massifs au profit de l’IA ne sont pas près de toucher d’autres PDG milliardaires comme lui. Ce sont plutôt les personnes les moins privilégiées qui seront probablement les premières à être licenciées. Le nombre total de travailleurs licenciés cette année par les entreprises technologiques s’élevait à 130 482 en août 2024. D’après plusieurs analystes, la tendance devrait se poursuivre, les entreprises cherchant à réduire les coûts grâce aux systèmes d’IA générative.
Des chiffres partagés par Duolingo suggèrent que l’adoption de l’IA s’est traduite par une augmentation du nombre d’utilisateurs et des revenus : près de 104 millions de personnes prennent des cours de langue, de mathématiques et de musique sur l’application chaque mois, soit une hausse de 40 % d’une année sur l’autre. Au cours du dernier trimestre, le chiffre d’affaires a atteint 178,3 millions de dollars, soit une hausse de 41 % par rapport à l’année dernière.
Il reste à voir si le fait que Duolingo ait misé sur l’IA se traduira par des avantages tangibles pour ses utilisateurs. De nombreux experts doutent que l’IA puisse un jour remplacer les tuteurs humains. Et ce en raison de plusieurs défauts. « L’IA ne peut pas voir si un élève est frustré. Elle ne peut pas voir le langage corporel. Elle ne peut pas voir la joie », a déclaré Elizabeth Birr Moje, doyenne de la Marsal Family School of Education de l’université du Michigan.
Par ailleurs, un rapport publié le mois dernier sur l’évolution du marché de l’emploi aux États-Unis fait état d’un tarissement des offres d’emploi et les licenciements se poursuivent. Il constate que les travailleurs s’accrochent fermement à leur poste ou luttent pour trouver du travail. Les travailleurs de la technologie, qui semblaient autrefois convoités par les recruteurs, se retrouvent aujourd’hui à faire des pieds et des mains pour trouver une place libre à bord.
Tout ceci fait craindre que l’ère des opportunités technologiques illimitées soit probablement révolue. Le marché de l’emploi est tendu et l’avènement de l’IA générative contribue à réduire les perspectives d’emplois. Des rapports indiquent que les entreprises font de moins en moins appel aux développeurs juniors. Cette dynamique serait le fruit de la morosité économique qui s’est installée au lendemain de la pandémie de Covid-19 et à l’essor de l’IA générative.
Source : interview de Luis von Ahn, fondateur et PDG de Duolingo